Titre : |
Entre accaparement et contamination : l'appropriation industrielle de l'hydrographie à Roubaix (Début du XIXe siècle - Milieu du XXe siècle) |
Type de document : |
Ouvrage et Inventaire |
Auteurs : |
Yaël Gagnepain, Auteur ; Béatrice (sous la direction de) Touchelay, Auteur |
Importance : |
1 vol (608 p.) |
Présentation : |
ill. |
Format : |
30 cm |
Accompagnement : |
carte |
Note générale : |
Thèses en préparation à l'Université de Lille (2022-....) en cotutelle avec l'Université de Namur , dans le cadre de École doctorale Sciences de l'homme et de la société , en partenariat avec Institut de Recherches Historiques du Septentrion (laboratoire) depuis le 31-10-2017 . |
Langues : |
Français (fre) |
Mots-clés : |
Histoire environnementale -- Appropriation -- Hydrographie -- Pollution industrielle -- Industrie textile -- Bourgeoisie industrielle |
Résumé : |
Le textile est souvent, à raison, cité comme une des activités centrales de la première révolution industrielle. En France plusieurs villes et agglomérations possèdent une longue tradition d'artisanat puis de proto-industrie textile. Mais c'est à Roubaix-Tourcoing que plus qu'ailleurs cette activité a connu, dans la deuxième moitié du 18e siècle et tout au long du 19e, un développement comparable au plus grandes cités industrielles anglaises. L'historiographie locale a décrit avec précision comment économiquement et démographiquement, se développement transforma deux petites villes du nord en capitales textiles du pays, créant des fortunes et des empires qui, pour certains, subsistent encore aujourd'hui. Cette thèse se veut une contribution au champ de recherche dynamique qu'est l'histoire environnementale. Le développement de Roubaix et Tourcoing a été rendu possible par de nombreux facteurs ; mais parmi ceux-ci l'accès, le contrôle, l'utilisation et le rejet des eaux a tenu une place primordiale. Nous proposons de faire une étude de cette question sur une période longue afin de donner à cet aspect toute l'importance qu'il a revêtu dans l'épopée industrielle de l'agglomération. Nous montrerons que la persistance de ces problématiques a développé chez les capitalistes textiles de l'agglomération un rapport à la ressource et aux nuisances qui permit, à travers la mise en place de pratiques spécifiques, d'asservir hydrographiquement une région entière, tout en repoussant sans cesse la question de la gestion des conséquences sanitaires de l'industrie. Dans la première partie nous montrerons que pour rendre possible leur développement il a été nécessaire pour les industriels d'asservir l'hydrographie d'une vaste région. Parmi les obstacles à la multiplication des manufactures dans l'agglomération les carences en eau furent certainement un des plus sérieux, aucune grande rivière ne traversait alors l'agglomération. Par des canaux, des stations de pompages, de relèvement, des réservoirs, c'est dans pas moins de quatre bassins versants que les villes construisirent des aménagements afin de fournir à une industrie grandissante les eaux nécessaires à son fonctionnement. Ces aménagements ne se sont pas faits sans conflits, les populations et industries belges furent particulièrement lésées par cette situation. Ces ouvrages furent également onéreux, et bien souvent ce sont les municipalités qui prirent en charge les coûts de construction, entretenant un vaste réseau pour l'usage quasi exclusif des industriels des deux villes. Ce domaine plus que tout autre expose les limites du mythe de la libre entreprise comme moteur du développement économique de la ville. Les industriels ont d'ailleurs tenu aussi longtemps qu'ils l'ont pu les pouvoirs municipaux des deux villes, qu'ils gardèrent à Roubaix jusqu'en 1892 puis de 1901 à 1912. L'historiographie a montré avec rigueur comment le développement régional a été rendu possible par un double contrôle des industriels sur la main d'œuvre frontalière et sur le pouvoir politique. Nous montrons en quoi l'avènement et le triomphe du capitalisme textile régional a également été tributaire d'un asservissement hydrographique d'une région entière. Dans la seconde partie du manuscrit nous étudierons les conséquences du déséquilibre hydrographique engendré par cette accumulation d'aménagements. Bien que les industriels et les mairies aient engagé la construction de multiples ouvrages pour ramener des dizaines de millions de litres d'eau chaque jour à l'agglomération, la question du traitement et de l'évacuation de ces eaux n'a jamais été anticipée. C'est la petite rivière de l'Espierre qui a servi pendant plus d'un siècle d'égout récupérateur des eaux industriels et domestiques des deux villes. Cette utilisation a eu deux conséquences principales. La première est la multiplication progressive des inondations en aval de l'agglomération. Le débit de l'Espierre a été multiplié par plus de dix en un siècle, c'est donc dans toute la vallée que champs d'agriculteurs et maisons ouvrières, subirent régulièrement les débordements du ruisseau. Il fallut aux pouvoirs publics roubaisiens et tourquennois aménager le lit de l'Espierre afin d'y faire entrer des quantités toujours plus importantes d'eau souillées. En plus de l'aménagement du lit de la rivière c'est par une routinisation des dédommagements que les villes parvinrent à faire taire les plaintes des riverains. La seconde conséquence est la dégradation de l'état sanitaire de la vallée, car les eaux de l'Espierre furent dès la moitié du 19e siècle constituées principalement du rejet des eaux industrielles. Ce sont en particulier les peignages et lavages de laines, premier stade de l'industrie de production de la laine qui sont responsables de ces rejets. Le petit ruisseau préindustriel s'il était bien incapable d'abreuver les usines, ne permit pas non plus de dissoudre les effluents des manufactures pour en diminuer leur nocivité. Plusieurs enquêtes montrèrent que ses eaux furent 2 à 10 fois plus chargées en matières organiques et en graisse que celles des égouts de Paris, de Bruxelles, ou de Londres, répandant partout leurs odeurs nauséabondes et créant des épidémies. C'est donc également en s'offrant un véritable droit à polluer que le complexe industriel textile de l'agglomération a pu s'épanouir. La longueur temporelle de cette étude qui présente la persistance de problèmes similaires pendant plus d'un siècle rend compte des stratégies utilisées par les industriels pour ne pas avoir à épurer leurs eaux. Ces pratiques d'évitements, d'atténuation, de dédommagements, forment toutes ensemble ce que nous appellerons une fabrique de l'impuissance. Cette partie vise à montrer les stratégies et argumentation mises en place par le patronat roubaisien et tourquennois pour ne pas épurer leurs eaux et pour payer au minimum le prix de leurs dégâts. L'avantage de l'étude longue que nous proposons est de pouvoir présenter les mécanismes récurrents qui pendant plus d'un siècle sont sans cesse réutilisés de père en fils par des dynasties d'industriels. Il ne s'agit pas de présenter un patronat uniforme et immuable, des conflits existent entre les industriels, ni de supposer une méthode enseignée, gravée dans le marbre, froidement appliquée ; mais plutôt d'expliquer comment ces chefs d'usines, pour protéger leurs intérêts ont pu décennies après décennies faire appel au même répertoire de pratiques pour esquiver leurs responsabilités. Car parmi tous les sujets abordés par les industriels lors de leurs réunions, il en est peu qui fit tout au long du siècle autant consensus : il leur fallait à tout prix esquiver les contraintes et les frais concernant les rejets de leurs effluents nocifs. Dans le chapitre 4, central dans la thèse, nous retracerons le conflit et l'impact des nuisances en déroulant toute la période permettant ainsi au lecteur de se familiariser avec la controverse ses évolutions et ses déplacements pendant plus de cent ans. Ce chapitre présentera des témoignages de ce qu'était le niveau d'insalubrité et les effets des inondations tout au long du siècle, et de comment cette situation était vécue par les riverains de la rivière et du canal. Nous verrons également comment pendant près d'un siècle les commissions successives censées s'attaquer aux problèmes de l'insalubrité et des inondations ont été utilisées par les industriels pour gagner du temps. Puis, en présentant plus en détail les tentatives de résolutions, feintes ou réelles, de ces dommages, nous détaillerons quelques éléments clés de ce que nous définissons comme fabrique de l'impuissance. Dans le chapitre 5 nous mettrons en lumière le rôle particulier et ambivalent de la frontière. La proximité de la Belgique a joué à la fois comme outil de visibilisation des nuisances industrielles, libérant la parole des victimes et des industriels étrangers. Mais nous verrons également la façon dont cette même frontière permit aux industriels de repousser toujours plus la prise en charge de leurs responsabilités, cultivant la temporalité diplomatique et l'asymétrie de puissance dans la relation transfrontalière, et instrumentalisant la main d'œuvre frontalière. Dans le chapitre 6 nous détaillerons le niveau des connaissances techniques sur l'épuration, l'usage fait de la science par les industriels et l'absence de mise en place de solutions du niveau de ce qui était réalisable aux différentes époques. Nous nous arrêterons sur les dates de 1885 et de 1939 pour lesquelles nous avons des données concrètes sur les procédés d'épuration mises en place dans les peignages de laine. Nous comparerons ces installations avec les avancées techniques de l'époque trouvées dans différents ouvrages techniques que nous présenterons. Dans le chapitre 7 nous reviendrons sur le rôle particulier des administrations françaises et dans le rapport des industriels avec ces dernières, que ce soit la préfecture ou les municipalités de Roubaix et Tourcoing. Nous verrons l'influence des industriels sur le pouvoir politique, leur long contrôle des conseils municipaux, leur implication dans les commissions techniques censées proposer des solutions aux nuisances. Nous montrerons également le rôle qu'ont joué les administrations publiques et en particulier les municipalités dans la construction de l'acceptabilité des nuisances en dédommageant les victimes ou en finançant des travaux d'aménagement pour que l'Espierre puisse contenir des quantités toujours plus grandes des eaux souillées des usines. L'addition de ces deux questions que sont le contrôle, la captation et l'acheminement des eaux ainsi que leur évacuation, leurs dommages et leur traitement permet de démontrer à quel point des questions typiquement environnementale telle que la rareté des ressources, l'acceptation des dégâts de l'activité, ont dû être pensées et intégrées au modèle de développement tout au long de l'histoire du complexe. Cette étude de cas permet donc de donner à penser sur un certains nombres de questions vivantes de l'histoire environnementale : la connaissance des dégâts par les acteurs, les capacités techniques existantes pour y remédier, les rapports entre le monde savant et les industriels, les marges de manœuvre des riverains, tous ces éléments, et d'autres encore, feront l'objet d'une étude fine qui sera comparée chapitre après chapitre aux résultats avancées par les travaux de recherches contemporains. Cette étude se veut faire un écho aux problématiques et aux débats qui entourent depuis maintenant plusieurs décennies le cataclysme climatique et environnemental en cours. Nous espérons apporter notre pierre au travail historique nécessaire pour en expliquer toujours mieux les origines et pour reconnaître et comprendre ceux qui refusent ou freinent la mise en place de solutions. |
Note de contenu : |
sources ANMT : 1997 014 ; 2012 042 ; 1988 007 |
Domaine(s) d'activité : |
Industrie textile |
Typologie : |
Thèse de doctorat |
Permalink : |
https://pmb.culture.fr/opac_anmt/index.php?lvl=notice_display&id=32017 |
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